13 septembre 2011

Du bon usage des rumeurs

 Garry Conille, 45 ans, s'est révélé fin diplomate ou habile joueur de poker lors de son intervention ce lundi sur Magik 9.
Le Premier ministre désigné, invité à faire le point sur la rumeur la plus fameuse de la fin de la semaine écoulée, a préféré conjuguer la langue de bois : il n'a rien démenti tout en insistant qu'il ne va pas passer son temps à réagir aux rumeurs.
Ceux qui l'ont écouté parler peuvent se faire une religion, mais le Dr Conille n'a rien divulgué ni n'a rien nié.
Quelle est la rumeur dont Conille ne veut pas parler ?
Samedi, le journaliste vedette Gary Pierre Paul Charles de Scoop FM annonce que Conille menace de donner sa démission; de renoncer à son statut de 3e Premier ministre désigné par le président Michel Martelly. La raison : un conseiller du président lui a demandé de signer une lettre de démission sans date avant même sa ratification comme Premier ministre, précise la radio.
La nouvelle fait la une. Les téléphones s'affolent. Jusqu'à ce lundi matin, personne ne dément.
Conille qui intervient tôt lundi matin sur Vision 2000, puis sur Magik 9, prend ses distances avec ce qu'il qualifie de rumeur. Cependant, il ne dément rien. Sa seule précaution est de réaffirmer que ses relations avec le président Michel Martelly se portent bien.
Sur Magik 9, son ton, quand il parle de l'équipe du président, laisse entrevoir qu'il y a peut-être anguille sous roche. Rien de plus.
Quelques minutes plus tard, toujours sur Magik 9, maître Thierry Mayard Paul, chef de cabinet du président Martelly, lui, dément l'existence de toute lettre que la présidence aurait écrite au Premier ministre désigné. Tout va bien, à le croire, entre Conille, l'équipe du président et le président lui-même.
Mayard Paul fait cependant référence à une rencontre de travail tenue vendredi au palais national entre le Premier ministre désigné et le premier cercle du président Martelly. Y participent, outre le président et le Premier ministre désigné Garry Conille, la première dame, deux conseillers du président (son ami Laurent Lamothe, son beau-frère Gesner Champagne et la femme de celui-ci), Thierry Mayard Paul, avocat et chef de cabinet du président. C'est une réunion au sommet du clan Martelly avec le nouveau venu dans le décor, remarque-t-on. Le chef de cabinet ne dit pas quels points ont fait l'objet des discussions.
A écouter Thierry Mayard Paul tout va bien. L'affaire Conille n'a pas de fondement et le processus de ratification a tout l'appui de la présidence.
Quelques minutes après, toujours sur Magik 9, c'est au tour de Moïse Jean - Charles, sénateur de la République, de déclarer péremptoirement que la lettre que les conseillers de Martelly voulaient que Conille signe sans date existe bel et bien. Et l'élu, proche du groupe des 16 anti-Bernard Gousse, mais aujourd'hui plutôt favorable à Conille, d'en dévoiler à l'antenne le contenu obtenu selon des sources que l'honorable et bruyant sénateur ne cite pas.
Pris dans l'excitation de sa prise de parole, avec ses excuses aux auditeurs avant de s'exécuter, le sénateur a fait le serment que cette affaire de lettre de démission sans date est la vérité avant d'avancer que l'une des raisons qui pousse le camp de la présidence à se méfier de Garry Conille serait l'appui que lui porte le Parlement.
En effet, toutes les sources du Nouvelliste indiquent que Garry Conille aura le vote technico-politique des parlementaires de tous les groupes. Ce terme de « technico-politique » est le nouveau code pour dire que Conille peut passer le test du Parlement en dépit des voix qui s'élèvent pour souligner que, plus que les deux précédents Premier ministres désignés, le fonctionnaire de l'ONU est en contravention flagrante avec l'article 157 de la Constitution de 1987 qui oblige tout Premier ministre à résider dans le pays cinq années consécutives avant leur désignation.
Pour des observateurs de la scène politique, Garry Conille est un type de Premier ministre inédit. C'est un Gérard Latortue d'un nouveau genre. Il a l'appui d'une bonne partie de la communauté internationale, des appuis politiques tant dans le camp des duvaliéristes - qui reviennent au devant de la scène - que dans celui des GPR (mélange des ex-alliés de René Préval, des pro lavalas et des parlementaires en mal de ban) qui cherchent une branche à laquelle s'accrocher. Cela permet à Conille d'avoir des appuis au Parlement sans dépendre de la présidence. Du temps de Latortue, pendant la transition 2004-2006, il n'y avait pas de Parlement fonctionnel.
Pour d'autres, la rumeur et le dénouement de l'affaire de la lettre de démission sans date constituent l'acte de naissance de Garry Conille comme homme politique. En menaçant de rendre son tablier avant de prendre charge et devant les appuis venus à son secours, le camp présidentiel a reculé. Conille vient de gagner le premier set du délicat match que chaque Premier ministre joue avec le président de la République qui l'a nommé. Enjeux: assumer son existence ou se coucher devant les désirs du chef.
Que cette affaire soit vraie ou fausse, montée de toutes pièces par des scénaristes habiles ou vécue comme une douloureuse et silencieuse bérézina par le camp du président Martelly, Conille vient de se faire des alliés inattendus : tous les Haïtiens qui prennent fait et cause pour les plus faibles (dans ce cas le petit Conille) face aux méchants (les avocats madrés de la présidence) sont de son côté.
Manipulation splendide qui tombe dans l'actualité plate d'un samedi sans une vague ou coup d'Etat manqué, cette affaire de la lettre de démission non datée nous ramène au souvenir que, sitôt ratifié, le Premier ministre, en vertu de la Constitution de 1987, ne peut être démis que par l'une des deux Chambres du Parlement... Le président ne peut que lui mettre des bâtons dans les roues, pas le renvoyer.
Avons-nous assisté au début de la course à l'autonomie du Premier ministre ou à une manoeuvre pour donner du corps à un candidat qui a bien de choses à faire oublier avant de prendre place dans le fauteuil du premier des ministres ?
L'illustre inconnu de Premier ministre désigné a pourtant besoin de Martelly qui est le dépositaire de la sanction du vote populaire. Martelly a besoin des appuis de Conille auprès des premiers amis d'Haïti, les Américains. Ils sont condamnés à s'entendre, car la présidence a le dos au mur après deux échecs et cela, Conille le sait.
Le Nouvelliste
 

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